Depuis plus d’une semaine maintenant, ils sont dans tous les médias. Tour à tour accusés de désorganiser le pays ou victimes de récupérations politiques, les gilets jaunes sont avant tout des citoyens qui se mobilisent pour dire leur ras-le-bol. Pouvoir d’achat, retraites, disparition des services publics, désertification médicale,… L’augmentation des taxes sur les carburants est la goutte de trop, et quelle goutte !
Cette hausse indifférenciée du prix des carburants est totalement injuste. Les plus riches, peu préoccupés de lâcher quelques euros de plus à la pompe, gardent intact leur droit de polluer au volant de leur luxueuse berline. Pour les autres, c’est-à-dire l’immense majorité d’entre nous, le passage à la caisse est aussi douloureux qu’inévitable. 8,3 millions d’automobilistes n’ont pas de solution alternative pour aller travailler.
Pour beaucoup d’entre nous, la note est salée. L’augmentation des taxes d’ici 2022 représentera un coût supplémentaire pour les ménages de 240 euros par an et même 370 euros pour ceux qui parcourent plus de 20 000 kilomètres annuels.Comment croire que les Français vont massivement acquérir des véhicules électriques, voire hybrides, encore bien trop coûteux malgré les primes à la casse (sans parler des caractéristiques techniques pas toujours adaptées aux distances).
Au lieu de taxer l’essence, nous avons besoin de moyens financiers pour investir dans des transports en commun ( TER, bus, métro ) moins chers voire gratuits, de rendre beaucoup moins cher les véhicules non polluants, de développer le train et le fret, d’investir dans la rénovation des logements, de re-localiser nos usines en France plutôt que d’importer via des portes-conteneurs hyper polluant… bref les propositions existent mais elles exigent un autre modèle économique !
La France qui travaille a le pistolet braqué sur le portefeuille. La colère qui s’exprime est totalement légitime. Elle doit être aussi l’occasion d’exprimer d’autres proposition pour relever le défi climatique.
Pour justifier un tel matraquage, le gouvernement se drape sans honte dans la vertu écologique. A chaque interpellation des Français, il répond que l’argent « sert la transition écologique ». Si seulement c’était vrai ! En 2019, la TICPE devrait rapporter 37 milliards d’euros. Une coquette somme de laquelle seulement un peu moins de 8,5 milliards seront prélevés pour financer les énergies renouvelables et les infrastructures de des transports. Soit un petit 19% du total des recettes ! Le reste ? Il sert à boucler le budget et à financer les généreux cadeaux aux plus fortunés et aux grandes entreprises, comme la fin de l’ISF ou le CICE.
Nous proposons quant à nous :
- La création d’un impôt de solidarité pour la planète (ISP) via une contribution exceptionnelle des grandes multinationales
- Le renforcement du crédit d’impôt pour la transition écologique (CITE)
- L’annulation de la trajectoire de hausse programmée sur cinq ans du diesel et des autres carburants
- La suppression de l’exonération de taxe intérieure de consommation pour les vols intérieurs
- La suppression du remboursement partiel de TICPE sur le diesel en faveur des poids lourds de 7,5 tonnes et plus
- La taxation du kérosène
- L’imposition des bénéfices des compagnies pétrolières
- Le maintien et le développement des petites lignes de train, du fret ferroviaire
- La baisse à 5,5% la TVA sur les transports en commun et les voitures propres
Lors du débat sur ce sujet au Sénat, le groupe CRCE s’est exprimé à de nombreuses reprises, retrouvez ici le résumé de leurs interventions :
M. Pascal Savoldelli :
Derrière la convergence de la taxation sur les carburants, qui est menée au nom de vertueux principes environnementaux, on voit surtout se profiler une transformation profonde de la fiscalité. Elle touche de moins en moins la production, toujours plus la consommation et le revenu. La TICPE devait rapporter 37,7 milliards d’euros dont 17 milliards pour les caisses de l’État, contre 31,5 milliards d’euros pour l’impôt sur les sociétés. Une TICPE plus forte que l’impôt sur les sociétés, franchement, on marche sur la tête !
À l’amendement de la commission, nous préférons le nôtre, qui met un coup d’arrêt à l’augmentation cette année et inscrit une tendance baissière. Il est plus que temps de se demander si la défense de l’écologie doit reposer sur du bricolage fiscal. La réponse serait plutôt une amélioration des services publics de transports.
Il n’y a pas que les gilets jaunes à être en colère, certains sont si isolés qu’ils ne peuvent pas crier leur angoisse. Et on les comprend : les banques continuent d’engager des milliards pour soutenir Total et les énergies fossiles, presque rien pour les énergies renouvelables. Je sais que la formule est éculée mais c’est un « véritable scandale » !
M. Fabien Gay :
Monsieur le ministre, partageons-nous l’objectif d’énergies non carbonées ? Oui, mais vous avez du mal à mettre en accord vos paroles et vos actes : 577 millions d’euros de moins pour la mission « Écologie », hausse des émissions des gaz à effet de serre de 3,4 % à cause du libre-échange, importation d’hydrocarbures canadiens en hausse de 46 % grâce au CETA, ces hydrocarbures extraits des sables bitumineux avec le pire bilan carbone…
Si vous nous disiez que vous investissez massivement en faveur des transports en commun, nous pourrions vous suivre. Et nous préférerions 1 milliard d’euros pour le RER B, qui transporte 1 million de passagers par jour, que 2,5 milliards pour le CDG Express, qui ne profitera qu’à 20 000 touristes par jour…
Si vous développiez la voiture à hydrogène, nous pourrions discuter. Mais la réalité, c’est que vous faites payer aux classes populaires les cadeaux fiscaux que vous faites aux plus riches : ni l’environnement, ni les classes populaires n’en verront la couleur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Marie-Noëlle Lienemann :
Le mouvement des gilets jaunes n’est pas un mouvement de contestation de la transition énergétique, c’est un problème de pouvoir d’achat, de justice et, même, d’aménagement du territoire. Considérons la question dans sa globalité. Le pouvoir d’achat de nos concitoyens est insuffisant : salaires bas, précarité, dépenses contraintes trop coûteuses… Il faut agir sur tous les tableaux. Les taxes indirectes sont injustes, car elles pèsent plus sur les plus pauvres.
Cela fait des lustres, au Parlement européen, que j’ai vu la tendance à faire fonctionner le marché et à taxer ; et les émissions de gaz à effet de serre augmentent. Cela ne fonctionne pas !
M. Dantec parle de baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais des baisses n’ont eu lieu que grâce à des délocalisations industrielles ! Tant qu’on n’aura pas une taxation qui prend en compte le coût carbone des intrants, on fait peser la transition énergétique sur les plus modestes. Et je ne parle pas des mesures d’investissement par l’État…
M. Éric Bocquet :
Il faut refaire ce budget – nous sommes d’accord. En urgence, l’année dernière, le Gouvernement a décidé de supprimer l’ISF – les gros patrimoines souffraient trop (Sourires) – et cette année, on augmentera pour le même montant, 4 milliards, la taxation énergétique. Quelque 82 % du surcroît de taxe n’ira pas à la transition énergétique, mais au budget de l’État. La mission « Écologie », elle, perd des millions. Un graphique du ministre des finances le montre, ce sont les plus pauvres qui la paient le plus la fiscalité écologique : les 10 % les plus pauvres y consacreront 2 % de leurs revenus en 2022, les 10 % les plus riches, seulement 0,5 %, alors qu’ils émettent quatre fois plus de carbone…