Retrouvez ici l’intervention au Sénat de la sénatrice Cathy Apourceau-Poly sur le projet de loi PACTE :
Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,
La proposition de loi que nous avons à discuter est un véritable monstre législatif. Ce texte comportait initialement 71 articles, il est contient actuellement quasiment 200. Cette multitude d’article aborde des sujets divers, en suivant une seule logique, celle de favoriser le business à tout prix. Alors que les libertés fondamentales sont attaquées de toute part, seule la liberté d’entreprendre semble trouver grâce aux yeux du gouvernement.
Ce texte modifie le droit des sociétés, le droit financier et bancaire, le droit des entreprises en difficulté, des assurances, du travail, de la propriété intellectuelle, de la sécurité sociale. Chacun de ces thèmes aurait mérité un débat à part entière, tant les modifications sont importantes, d’un point de vue qualitatif comme quantitatif.
Ces modifications sont divisées en trois parties : libérer les entreprises, rendre les entreprises plus innovantes, rendre les entreprises plus justes. Tout tourne donc autour de l’entreprise, ce qui amène à se questionner sur sa place et sur le modèle de société que l’on veut promouvoir.
Mais derrière ce foisonnement de mesures c’est toujours la même chanson : casser les protections pour le bénéfice des plus gros, des plus riches. Une fois encore, sous prétexte de liberté et de compétitivité, c’est la liberté des renards dans le poulailler !
Ce projet de loi prétend vouloir repenser la relation entre les entreprises et l’intérêt général. Mais elle s’inscrit dans la continuité des précédentes réformes qui, additionnées les unes aux autres, conduisent à transformer profondément notre modèle social. Les reculs annoncés par cette loi sont nombreux. Elle approfondit le mouvement de financiarisation des entreprises, les attaques contre nos mécanismes de solidarité nationaux et la fragilisation des droits des salariés.
Ainsi, après la loi El Khomri et les ordonnances Macron de septembre 2016, la loi PACTE vient porter un nouveau coup aux droits des salariés. Derrière la volonté affichée de simplification, la modification des seuils sociaux permet de revenir sur certaines obligations à la charge des entreprises, comme la mise à disposition d’un local syndical. Quant aux mesures censées favoriser la démocratie sociale, elles restent bien insuffisantes. Le nombre de salariés présents dans les conseils d’administration et de surveillance restent insuffisants. Et leur pouvoir d’action est trop limité par le manque d’accès aux informations, depuis la loi « secret des affaires ».
Nos systèmes de solidarité sont également attaqués. Alors que le PLFSS pour 2019 a dépassé des records en terme d’exonérations de cotisations sociales et que le principe de non-compensation par l’Etat a été consacré, ce projet de loi continue de vider les caisses de la sécurité sociale. La modification des seuils sociaux et la suppression du forfait social représentent à eux seuls 800 millions d’euros.
Par ailleurs, plusieurs mesures annoncent la réforme des retraites à venir, comme les mesures relatives à l’épargne salariale et les habilitations à réformer par ordonnances. Le gouvernement initie la financiarisation de notre système de retraite, alors même que les concertations avec les syndicats sont encore en cours.
Enfin, alors même que cette loi prétend vouloir repenser la place de l’entreprise de la société, les mesures de dérégulation et de désengagement de l’Etat se multiplient.
D’abord, en s’attaquant aux chambres consulaires et aux chambres des métiers, malgré leurs missions de service public, essentielles à l’accompagnement des entreprises et à la formation professionnelle.
Ensuite et surtout en procédant à de multiples privatisations : la Française des jeux, Engie et Aéroports de Paris, dont mon collègue Fabien Gay vous a déjà parlé. Le gouvernement abandonne ses prérogatives d’Etat stratège et de régulateur. Après le fiasco de la vente des concessions autoroutières, le gouvernement abandonne le secteur aérien. A l’heure de la transition écologique, le gouvernement livre Engie au marché et aux exigences de rentabilité à court terme. Quant à la vente de la Françaises de jeux, elle est tout simplement inquiétante quand on connaît les enjeux de santé publique.
Le modèle social que nous défendons est à l’opposé de celui proposé ici, qui repose sur la fragilisation du droit du travail, l’attaque contre les services publics et les systèmes de solidarité, sur le désengagement de l’Etat et la dérégulation des marchés financiers. Ce projet de loi repose sur des présupposés idéologiques et économiques mis en œuvre depuis des décennies, qui n’ont pas montré leurs effets en termes de pouvoir d’achat et de justice sociale et qui fragilisent les salariés.
Nous nous opposons au mouvement de financiarisation de l’entreprise et de la société en général, qui est au cœur de ce projet de loi.
Pour rappel, selon l’INSEE, de 1980 à 2015, la part des dividendes est passée de 3 % de la richesse nationale à 10 % en euros constants. Cette financiarisation des entreprises empêche de prendre en compte l’ensemble des enjeux sociétaux, comme l’environnement, la démocratie sociale, la collectivité dans laquelle l’entreprise est insérée. C’est pourquoi la finalité de l’entreprise ne doit plus être la production de biens et de services et la rentabilité à court terme.
Il est nécessaire de mettre les entreprises devant leurs responsabilités sociales, environnementales et économiques. Elles doivent continuer de participer au bon fonctionnement de la société, par des actions concrètes et à travers une fiscalité qui permet une meilleure répartition des richesses. C’est le projet que le groupe CRCE défendra tout au long des débats, en proposant notamment des amendements qui favorisent la protection des salariés, la citoyenneté au travail, la maintien d’un service public de qualité et des systèmes de solidarité tels que la retraite par répartition.
Parce que ce projet de loi est à l’opposé de ce que nous défendons, nous voterons contre. Mais nous espérons que nos propositions seront entendues et permettront de démontrer qu’un autre modèle de société est possible.