Retrouvez ici le discours prononcé par Cathy Apourceau-Poly à la tribune du Sénat lors de l’étude du budget 2019 de la Sécurité Sociale :
INTERVENTION GENERALE
CATHY APOURCEAU-POLY (12 minutes)
Monsieur le Président,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,
Le 10 octobre dernier, lors de la présentation de ce Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale, vous-même Madame la Ministre, avez annoncé que ce projet de loi portait « une double ambition, d’abord d’investir et ensuite de protéger ». Cette volonté de rénover notre système de santé et de protéger les usagers, nous la partageons, soyez-en assurée, pourtant nous ne l’avons pas retrouvée dans ce texte.
Pour nous, ce texte présente deux caractères :
– d’abord, l’abandon d’un des principes fondateurs de la sécurité sociale. Ce principe qui veut que chacun cotise selon ses moyens et reçoive selon ses besoins, dont ma collègue Laurence Cohen vient de vous parler ;
– ensuite l’obsession d’apurement de la dette sociale, qui empêche de construire une politique sociale active, qui seule permettrait de répondre véritablement aux besoins de la population. Où sont les investissements et la protection ?
Ce budget permet, pour la première fois depuis 18 ans, un retour à l’équilibre de la Sécurité sociale, tandis que l’apurement de la dette sociale est prévu pour 2024.
Mais peut-on vraiment se féliciter de ce retour à l’équilibre qui repose sur les sacrifices de l’hôpital public et qui prive les usagers d’un service de santé de qualité ?
Madame la Ministre, vous le savez, mes collègues des groupes communistes de l’Assemblée et du Sénat ont arpenté le pays pour préparer ce PLFSS. Depuis le printemps, ce ne sont pas moins de 100 établissements qui ont été visités, hôpitaux, Ehpad, EPSM indistinctement, afin d’entendre les premiers concernés : ces hommes et ces femmes qui soignent le pays.
A l’occasion de ce Tour de France des hôpitaux, nous avons pu le constater : les hôpitaux sont exsangues, ils manquent de moyens humains et financiers. Pourtant, le gouvernement poursuit les mesures d’austérité. Certes, l’ONDAM est revalorisé à hauteur de 2,5 %, mais cela est largement insuffisant à couvrir les besoins de santé, puisque la croissance tendancielle des dépenses de l’ONDAM s’établit en réalité, mécaniquement, à 4,5 % pour une qualité de service public égale.
Quant aux 400 millions supplémentaires investis dans le système de santé, ils visent avant tout à financer la transformation du système de santé avec la création de 1000 communautés professionnelles territoriales. Autrement dit, cette enveloppe ne permettra pas de répondre aux besoins et aux préoccupations des établissements de santé, qui luttent pour survivre et assurer des soins décents. Après les espoirs suscités par l’annonce de ces 400 millions, l’examen des détails est rude ! Cette somme est bien peu de choses lorsqu’on la compare à la dette des hôpitaux : à titre d’exemple, l’APHP de Marseille présentait à lui seul un déficit de plus de 40 millions d’euro en 2016, et celui de Lens 39 millions d’euros, a minima, alors qu’il faudrait investir pour le nouvel hôpital.
Plus grave encore : si le PLFSS pour l’année 2019 ne propose pas de financements suffisamment élevés pour assurer un service public de la santé de qualité, il demande par contre des économies supplémentaires aux hôpitaux. En effet, en 2019, les hôpitaux devront économiser quasiment un milliard d’euro.
Madame la ministre, vous dites vouloir investir dans notre système de santé. Pourtant, les montants destinés à la rénovation du service public de la santé apparaissent dérisoires par rapport aux cadeaux fiscaux accordés aux entreprises.
Ce PLFSS est une véritable bénédiction pour les entreprises : cette année, elles vont toucher 20 milliards d’euro au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et elles bénéficieront de 45 milliards d’euro à travers la transformation du CICE en allègement de cotisations l’an prochain. Le total est de plus de 60 milliards d’euro.
Je me permets de le rappeler : entre 2005 et 2012, 62 établissements publics de proximité ont fermé et 32 000 lits d’hôpital ont été supprimés. Pour les EHPADS et le maintien à domicile, les besoins sont évalués à près de 100 000 salariés supplémentaires et les hôpitaux de 200 000 pour assurer un bon fonctionnement de leurs services.
Je ne peux m’empêcher de m’interroger : Tous ces milliards n’auraient-ils pas pu servir à empêcher des fermetures de service ? Financer de nouveaux lits d’hôpital ? Créer des emplois ?
Mes chers collègues,
L’ambition de Mme Buzyn de protéger s’annonce, elle aussi, décevante et difficilement concrétisée dans ce projet de loi.
Comment peut-on prétendre vouloir protéger, alors même que les mesures régressives visant les plus vulnérables s’accumulent ?
Ainsi en 2018, 7 millions de retraités ont vu leur fiscalité augmentée par la hausse de la CSG, hausse bien faiblement compensée par les mesures prises dans le cadre de ce PLFSS, qui ne concerneront que 350 000 foyers. En 2019, ces mêmes retraités ne verront leurs pensions revalorisées qu’à hauteur de 0,3 %, c’est-à-dire bien en dessous du taux de l’inflation, alors même que leurs pensions sont un droit issu des cotisations payées tout au long de leur carrière. C’est un mépris total de nos aînés, et particulièrement vis-à-vis des femmes qui constituent la part la plus pauvre des retraités.
Les personnes en situation de handicap sont également très impactées par ce projet de budget de la sécurité sociale. La liste des mesures régressives à leur égard est longue.
Sans vouloir « remettre le couvert », si vous me passez l’expression, je voudrais quand même rappeler que lors de la présentation de notre Proposition de Loi visant à recalculer l’AAH, l’argument qui nous a été opposé était qu’il fallait une refonte globale du système des aides et des procédures pour aller vers plus de droit pour les personnes handicapées. On mesure l’hypocrisie de l’argument dans ce PLFSS qui sans rien améliorer, attaque encore plus les droits de nos concitoyens.
Or ce sont justement ces petites subtilités qui usent les personnes en situation de handicap ou leurs proches : devoir faire et refaire des dossiers, voir les maigres ressources grignotées à chaque « amélioration » de l’ordinaire, rester dans une dépendance profonde vis-à-vis des autres…
J’ai rencontré des associations, des personnes handicapées, leurs familles tout au long de ces deux derniers mois pour préparer nos travaux. Je pense notamment à ces mères d’enfants atteints de troubles autistiques : face au handicap de leur enfant, elles sont seules, obligées d’arrêter de travailler faute de structure et de soutien au quotidien, elles doivent lutter constamment, dans tous les aspects de la vie de leur foyer. Quel message leur enverrons-nous avec ce PLFSS ?
En limitant les cumuls RSA/AAH, en maintenant la CSG sur la PCH utilisée pour financer les aidants, en supprimant les aides aux transports, ce PLFSS renvoie dans les limbes les personnes en situation de handicap, en les inscrivant dans une double trappe à pauvreté et à exclusion !
Madame la ministre, lors de la présentation de ce PLFSS, vous avez mis en avant un certain nombre de mesures qui apparaissaient alors positives, comme la mise en place de politiques préventives ou encore le 100 % santé. Mais à y regarder de plus près, elles se sont finalement révélées bien peu ambitieuses..
Si nous nous félicitons des mesures préventives en matière d’addictologie et d’autisme, nous doutons qu’elles puissent être réellement mises en place, en l’absence de moyens réels qui leurs seraient consacrés.
Quant au 100 % santé, il s’agit là encore d’une mesure d’affichage. Contrairement à ce que l’on pouvait espérer, il ne s’agit pas d’un remboursement complet par la sécurité sociale des frais en matière de dentaire, d’optique et d’auditif. Le reste à charge sera assumé par les mutuelles, qui ne manqueront pas de répercuter les coûts en augmentant leurs tarifs ou en appauvrissant le panier de soin, vous le savez bien. Mais le plus dramatique concerne les 4 % de français qui n’ont pas de complémentaire santé et seront nécessairement exclus du bénéfice de cette mesure.
Le projet que vous présentez propose des investissements bien insuffisants pour permettre à notre service public de la santé de fonctionner et il continue de frapper au porte-feuille ceux qui subissent déjà la précarité.
Ce projet cherche avant tout à faire des économies et il prolonge les mesures régressives, déjà engagées lors du précédent PLFSS : la difficulté d’accès aux soins, la remise en cause de la politique familiale, le matraquage des retraités, l’étatisation de la sécurité sociale…
Toutes ces mesures construisent une société de plus en plus injuste et creusent les inégalités, pourtant déjà trop grandes. Je le rappelle, en France, cette année, le nombre de personnes vivant en situation de pauvreté s’élevait à 9 millions, alors même que la France se plaçait 5ème au classement des pays comportant le plus grand nombre de millionnaires au monde.
Le problème de l’Etat, ce n’est donc pas le manque de moyens, ce sont les choix qui privilégient les politiques austéritaires. La France dispose de larges moyens financiers et il est grand temps qu’elle les mobilise afin de construire un système de sécurité sociale qui réponde réellement aux besoins de la population : il faut mettre fin à la casse de l’hôpital public et lutter efficacement contre la précarité, la désertification médicale et le renoncement aux soins, qui touche 4 français sur 10.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste défend un projet alternatif : celui d’un système de sécurité sociale juste et pérenne.
Nous considérons que tous les soins de santé devraient être pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. C’est la seule façon de répondre aux besoins humains de protection, de la naissance à la mort. Cette protection face aux aléas de la vie est un facteur essentiel du développement, autant économique que social.
Par ailleurs, nous proposons la création d’un Pôle public du médicament. Une telle institution, gérée au niveau national, permettrait de développer l’innovation et de permettre un accès aux produits de santé à tous et à tout moment. Ce Pôle public du médicament est une nécessité au regard des événements récents. Je le rappelle, l’année 2018 a été marquée par les scandales sanitaires, comme celui du Levothyrox ; et par les pénuries de médicaments, comme cela a été le cas pour le Sinemet qui est pourtant nécessaire au traitement de la maladie de Parkinson.
Nous militons enfin pour que chacun puisse avoir accès aux soins. La population dans sa diversité doit avoir accès à des services hospitaliers publics de proximité qui recouvrent des spécialités comme la médecine, la chirurgie, la gynécologie, la maternité, les urgences, la psychiatrie…
Plus que jamais, Madame la Ministre, nous devons aider les élus des territoires et notamment des maires qui souhaitent développer des centres de santé, avec des médecins salariés. Que l’on soit en zone urbaine ou rurale, nous ne pouvons accepter le rupture d’égalité.
Nous sommes pragmatiques et chacune de nos propositions repose sur un financement solide, suivant la philosophie de solidarité qui présidait à la création de la sécurité sociale. Il est grand temps de mettre à contribution les entreprises et d’arrêter de frapper au porte-feuille ceux qui sont les plus fragiles.
Le projet que vous présentez est aux antipodes de notre conception de la sécurité sociale et de notre conception de la société en général. C’est pourquoi nous nous y opposerons, même si nous espérons que nos propositions seront entendues tout au long des débats.