Retrouvez ici l’intervention de Cathy Apourceau-Poly, Rapporteure de la proposition de loi visant à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’AAH, déposée par Laurence Cohen au nom du groupe CRCE.
« Madame la Présidente, Madame la Ministre, Mes chers collègues,
Je souhaite avant toute chose remercier une nouvelle fois notre collègue Laurence Cohen ainsi que les membres du groupe CRCE d’avoir inscrit ce texte important à l’ordre du jour de notre assemblée.
Le texte aujourd’hui soumis à votre examen a fait l’objet en commission des affaires sociales d’un débat nourri et utile, à l’issue duquel un problème demeurait entier : quelle est la nature de l’allocation aux adultes handicapés ?
Cette allocation occupe une place à part dans le paysage des prestations sociales attribuées aux personnes handicapées. Elle est versée aux personnes handicapées dont l’incapacité permanente les tient durablement éloignées de l’emploi. Depuis sa création par la loi fondatrice du 30 juin 1975, l’AAH a toujours été perçue comme un minimum social, autrement dit comme un revenu de remplacement versé par les pouvoirs publics aux personnes bénéficiaires en vertu de la solidarité nationale, en subsidiarité des autres formes de solidarité.
C’est la raison pour laquelle les modalités d’attribution de l’AAH présentent une certaine parenté avec celles du revenu de solidarité active. Il s’agit en effet d’une prestation sociale différentielle, qui ne part pas du besoin de la personne qu’elle finance, mais d’un revenu minimum qu’elle lui garantit. Elle tient compte des revenus du conjoint, suggérant ainsi que l’accompagnement d’une personne handicapée durablement écartée du marché du travail serait moins coûteux lorsque cette dernière est en couple que lorsqu’elle vit seule.
Ces caractères de l’AAH sont bien connus et traduisent l’esprit d’une époque où l’accompagnement du handicap s’entendait comme le prolongement d’une forme de charité.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Depuis une autre grande loi, celle du 11 février 2005, une autre logique d’intervention publique auprès des personnes handicapées s’est affirmée : la logique de compensation. Contrairement à la logique de solidarité, la compensation n’a pas pour objet d’assurer à la personne handicapée un revenu de remplacement dans le but de maintenir son niveau au-dessus d’un certain seuil, mais de financer, sans considération de ressources ou de foyer, l’indemnisation du « préjudice moral » que subit la personne dans ses difficultés quotidiennes du fait de son handicap. Cette indemnisation est en grande partie assurée par la prestation de compensation du handicap, attribuée par les conseils départementaux.
Le financement de l’accompagnement de la personne handicapée se situe au croisement de ces deux philosophies, solidarité et compensation, ce qui peut parfois en rendre la compréhension malaisée. Individuel et déconnecté du niveau de revenu lorsqu’il s’agit de compenser le besoin en aides humaines et techniques consécutif à un handicap, le financement prend des formes plus solidaristes, proches de la logique des minima sociaux, lorsqu’il s’agit de soutenir financièrement les personnes dont le handicap les tient éloignées de l’emploi.
De mon point de vue, cette dichotomie ne se justifie pas. Au nom de quoi un handicap ferait-il appel au devoir d’indemnisation des pouvoirs publics dans certains cas, et à l’obligation solidaire d’un minimum social dans d’autres ?
De toute évidence, pour des motifs autant liés à son histoire qu’aux tâtonnements récents des politiques publiques en matière de handicap, nous peinons encore à faire un choix clair.
Notre commission des affaires sociales a longuement débattu sans parvenir à trancher. Même nos collègues défavorables à la proposition de loi ont bien été contraints de reconnaître qu’une pareille dualité, en plus de plonger dans la confusion certains de nos concitoyens les plus fragiles, était le signe d’une politique publique inaboutie et vacillant sur ses propres principes.
Ce texte propose de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul et l’attribution de l’AAH, et d’ainsi la faire résolument entrer dans la catégorie des prestations de compensation.
On dit de ce texte qu’il dénature profondément l’AAH ; mes chers collègues, c’est tout le contraire ! Nous mettons simplement nos pas dans ceux déjà tracés du législateur de 2005, qui a posé le principe compensateur comme référence unanimement acquise aujourd’hui.
Au même titre qu’une aide humaine ou une aide technique compense la perte d’autonomie liée au handicap, nous estimons logiquement que l’AAH compense la perte de revenu liée à l’incapacité de s’insérer durablement sur le marché du travail, et que son attribution doit donc obéir à des principes de compensation. Pourquoi voir une aberration là où il n’y a que bon sens et désir de simplifier la vie de personnes qui n’ont vraiment pas besoin de complications ?
Notre texte est donc utile, mais il est aussi indispensable, surtout en cette période où s’ouvre la discussion budgétaire. Le projet de loi de finances de l’an dernier avait effectivement permis au Gouvernement de faire l’annonce de deux mesures relatives à l’AAH, dont l’une ne laisse pas de nous inquiéter.
La première concerne la revalorisation du montant individuel maximal auquel un bénéficiaire peut prétendre. De 820 euros actuellement, ce plafond passerait progressivement à 900 euros en novembre 2019, ce dont nous nous félicitons. En revanche, la seconde mesure prévoit l’abaissement du plafond de ressources en-deçà duquel un bénéficiaire en couple peut toucher l’AAH. Ce plafond, qui est actuellement le double du plafond individuel, va se voir appliquer un coefficient dégressif, illustrant ainsi l’ambition du Gouvernement de « familialiser » une prestation qui doit à tout prix rester individuelle.
Nous avons à maintes reprises questionné la direction générale de la cohésion sociale sur les impacts chiffrés de ces deux mesures, et n’avons jamais reçu de réponse. Or nous avons toutes les raisons de craindre que, malgré la bonne nouvelle de la revalorisation, l’abaissement du plafond ne manquera pas d’exclure certains allocataires du dispositif dont ils bénéficient actuellement. Nous en avons en tout cas la preuve irréfutable par les chiffres pour le cas d’un couple composé de deux bénéficiaires de l’AAH…
Mes chers collègues, c’est tout le contraire de l’ambition de notre texte. Il ne s’agit pas que d’une mesure que l’on pourrait accuser d’être naïvement généreuse, il s’agit d’un pas nouveau franchi vers une politique publique du handicap plus cohérente, plus lisible et plus juste.
Je vous remercie. »